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La question
récurrente, immanente à toute clinique instruite du chômage, est
celle du destin de la pulsion quand l'absence de travail ne
lui permet plus de
trouver une voie d'accès socialement acceptable.
Sous cet éclairage on peut saisir ce qui est vécu au chômage à partir
du travail, c'est à dire saisir le chômage comme le travail en creux, dans son envers, négativement.
Saisir le chômage c'est alors saisir ce qui a été perdu et ce dont
est privé le demandeur d'emploi : le travail comme moyen d'expression, d'affirmation, de
reconnaissance sociale, voire de création.
Sous son versant positif, le travail est indexé du
côté de l'existence sociale, de la gratification narcissique, de la constitution de
l'identité, il participe à la santé tant
psychique que somatique comme nous l'apprennent les travaux et recherches en
psychodynamique du travail1
et sous ce versant il apparaît central
comme déjà Freud le considérait2.
De la même manière comprendre le chômage c'est aussi comprendre le
travail en retour, l'un et l'autre s'éclairent mutuellement, comprendre ce qui
met en souffrance au chômage est un moyen de comprendre ce qu'apporte
le travail, comment au travail la souffrance peut se transformer en
plaisir, ce dont est privée la personne sans emploi.
Pour autant on ne saurait négliger la part sombre du travail, délétère, part
sombre qui va grandissante comme l'atteste particulièrement la multiplication du nombre de
suicides sur les lieux de travail.
Sous cet aspect le chômage peut apparaître comme une forme de répit
et la clinique du chômage s'apparente à celle des salariés en souffrance
psychique et c'est d'abord un vécu douloureux au travail
qu'il faut élaborer avant que soit possible une reprise d'emploi, avant même
de pouvoir faire face aux difficultés liées à sa recherche.
Dans ce moment, être au chômage c'est se confronter tant à la
difficulté d'être en souffrance d'emploi qu'à la peur d'en
retrouver, de retrouver les mêmes conditions qui ont conduit à le
perdre. Le sujet se trouve alors pris dans un conflit interne
paralysant, d'un côté il souhaite sortir du chômage tout en
craignant de retravailler, il ne peut formuler sa peur qui vient en
contradiction avec son désir car elle se redouble de voir cette peur interprétée
par autrui comme un refus de travailler.
Cette approche ne saurait pour autant faire l'impasse sur ce qu'il en est de la
"répétition" dans les vécus douloureux au travail, sans
séparer le travail du reste de l'existence. Chaque sujet rencontre un réel qui vient en résonance
avec ses nœuds de "jouissance inconsciente". Être du "côté du sujet" cela ne
revient pas à le consigner dans une
position de pure victime, à l'enfermer dans sa plainte et ses revendications.
Mais, déjà, pour que la plainte s'élabore il faut un lieu qui la
laisse s'émettre, un lieu pour l'entendre et un lieu où elle soit reconnue comme légitime
quelles que
soient ses formes et
ses travestissements, ses modes d'expression.
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DES LIEUX DE PAROLE
POUR LES CHÔMEURS
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Il est nécessaire qu'existent des espaces pour les chômeurs comme
sujets et citoyens, qui leur offrent les services de professionnels de
l'écoute à l'abri des pressions tant personnelles que collectives.
Les chômeurs peuvent se confronter à un regard
extérieur souvent péjoratif à leur endroit quand, dans
le même temps, la personne privée d'emploi vit trop souvent son statut de
chômeur dans un
sentiment d'indignité.
Le chômage s'apparente à une mort sociale
quand le regard extérieur péjoratif, ou supposé tel,
vient faire écho à celui que le sujet peut porter sur lui.
Les personnes sans emploi se confrontent tant à la réalité plus ou
moins prégnante du travail rare qu'aux discours véhiculés qui
alimentent la suspicion à leur égard.
Discours qui affectent les professionnels de
l'insertion : les aides proposées ne sont
jamais sans ambiguïté voire ambivalence sous la pression des
résultats à atteindre qui viennent prendre le pas sur le sens des pratiques et
des objectifs.
Quand
la pression augmente sur les professionnels de l'insertion, sous
l'impératif des résultats et de leur évaluation, elle se
répercute peu ou prou sur leurs interlocuteurs qui doivent produire à
un rythme soutenu un "projet réaliste" de travail,
d'insertion ou de formation. Les objectifs prescrits rendent alors
difficile la prise en considération de la personne dans sa
singularité. Le traitement en flux de chômeurs appréhendés comme des
publics en masse rend
d'autant plus nécessaire l'existence de lieux où les chômeurs puissent
se poser sans avoir à se justifier, prouver, attester.
Il est requis des salariés comme des demandeurs d'emploi de se conformer à une injonction
paradoxale : faire preuve d'engagement personnel c'est à dire subjectif, faire montre de motivation mais dans des formes codifiées et sans
qu'ils aient pour les uns prise sur l'organisation du travail et pour
les autres sur les modalités de l'emploi.
Il est souvent demandé, plus ou moins explicitement, à la
personne sans emploi de prouver qu'elle "veut s'en sortir",
au lieu de la créditer de
rechercher
des voies de sortie.
De même il est souvent considéré que la personne qui ne cherche plus,
ne veut pas ou ne peut pas trouver une voie d'insertion. Celui pour qui vouloir
est trop douloureux faute d'effets, risque d'être radié ou relégué du côté du
handicap.
Quand la cité n'assume pas la charge des problèmes collectifs elle la reporte sur un sujet transformé en individu roi
vacillant entre des sentiments de toute puissance et de
toute impuissance en quête de limites entre l'élation narcissique et
son pendant dépressif.
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LA MORBIDITE DU
CHÔMAGE |
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Être au chômage est
un état de souffrance, c'est être en souffrance, littéralement dans
l'attente, dans l'attente d'une réponse qui viendrait authentifier que l'on continue à avoir une possible existence sociale.
Cela peut
ramener à un sentiment d'être dans l'attente du bon vouloir de
l'Autre, cela peut ramener à une position infantile, faciliter les
régressions et se manifester par une morbidité somato-psychique.
Ce qu'il en est du destin
pulsionnel est une
question insistante qui constitue le réel du chômage dans ce qu’il
délie dans le fonctionnement psychique, et ouvre aux
décompensations multiformes.
Cette question, sur ce qu'engendre la privation de travail, s'ajoute à
celle de la mort sociale, au sentiment d'inutilité, à celui d'être un
"surnuméraire", pour reprendre le terme de Robert Castel3,
.
Si de plus l'histoire du sujet est émaillée de séries de traumatismes à répétition,
de blessures non métabolisées, que reste t'il comme contenants dans
cette situation ?
C'est là que la question du chômage rencontre celle de la clinique
de l'exclusion quand il n'y a plus d'inscription si ce n'est que par
défaut.
Clinique du renoncement, du non accès, histoires de personnes inscrites
uniquement au chômage quand elles le sont encore, sans travail, sans
toit, sans papiers, sans appartenance mais avec des stigmates,
des cris, des odeurs, des produits pour ne pas penser. Vies à minima,
minima de revenus, d'insertion, de survie, rétrécies au minimum
vital, centrées sur le quotidien, sans avenir et
sans passé, toujours en sursis.
Clinique de l'extrême précarité et du renoncement à une vie
ordinaire, une vie qui doit s'éprouver en permanence pour se sentir toujours présente au monde. Vies décrites par Patrick Declerk4
et plus récemment par Sylvie Quesemand Zucca5
qui la nomme "clinique de la désocialisation".
D'un côté l'emploi se fait rare,
précaire et de plus en plus sélectif, le travail assurant de moins
en moins son rôle d'intégration. De l'autre les lieux d'asile
traditionnels sont soumis au même régime des contraintes de
rentabilité que les lieux de
production, perdant leur fonction initiale de garde fous. La
déviance, la folie trouvent leurs quartiers dans la rue, voire
en prison, devenus les lieux communs de la folie ordinaire.
Tout citoyen est alors appelé à croiser, rencontrer celui
qui l'effraie et le renvoie à l'impossibilité croissante de faire une place à chacun dans un monde du travail
où il devenu
difficile de prendre sa place et de ne pas la perdre.
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LA CLINIQUE DU
CHÔMAGE |
Le travail et
l'emploi ne sont pas équivalents, le travail serait le propre de
l'homme, seuls les hommes travaillent, il n'y a de travail qu'humain, l'emploi étant la forme socialement
définie pour que l'activité laborieuse se déploie, ne pas
travailler c'est alors perdre quelque chose de ce qui fait son humanité.
La clinique du
chômage n'est pas la clinique d'une pathologie, mais d'une
souffrance singulière quand le chômage comme le travail ramène chacun au monde commun, le travail est
un vecteur de participation à la vie collective, pour quiconque,
quels que
soient les avatars de
son histoire, le travail apparaît comme un moyen de se reconnaître comme
semblable aux autres.
La
"clinique du chômage" c'est offrir les conditions pour que
s'élabore une période de vie, pour qu'elle
puisse s'inscrire comme moment dans une histoire.
Que se fraye un passage pour que cette histoire continue à
s'écrire et ne se cristallise pas sur un moment souvent appréhendé comme
sans
fin.
Priver
les chômeurs de leur participation à la vie professionnelle c'est
en même temps priver la cité de leur contribution.
La clinique du chômage permet que soit considérée la condition de
chômeur, elle est l'indicateur des effets d'un chômage de masse devenu
structurel. Banalisé, le chômage n'en reste pas moins une épreuve
voire un drame.
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CHÔMAGE DE
MASSE, PRECARITE, LIEN SOCIAL
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Restructurations, reconversions industrielles, délocalisations...
on ne peut faire de l'humain une simple variable d'ajustement qu'il
suffirait de réparer pour la retrouver dans l'état antérieur après un arrêt
d'activité.
La volonté de gérer l'humain comme une ressource, comme un capital,
le "capital humain", signe la façon de
l'appréhender qui induit la manière de le traiter.
l'Autre
social a peut-être jamais autant demandé à chacun de s'adapter et
plus particulièrement au travail au moment même où le monde du
travail produit sans nulle cesse de l'exclusion, exclusion qui peut
apparaître comme l'autre nom de l'adaptation, son envers, son non-dit
implicite.
Avec
le chômage de masse, reste sur la touche une part de l'humanité, c'est
l'humanité de la personne sans emploi qui est déconsidérée, cela
retentit sur la vie de la cité, cela fait menace pour ceux qui
travaillent.
Réduire le travail au rang d'un bien ou d'un service sur un marché,
c'est nier sa spécificité, si le travail est central c'est bien à le
considérer dans son irréductible humanité.
Le chômage n'est
pas une fatalité, il participe d'une conception du vivre ensemble, il
questionne sur ce que l'homme fait à l'homme.
Cf.
le site:
Psychanalyse,
santé, travail.
Freud
: Malaise dans la civilisation. P.U.F. 5e édition 1976
note page 25.
Robert
Castel : Les métamorphoses de la question sociale. Une
chronique du salariat
Collection
"l'espace du politique". Fayard 1995.
Patrick
Declerk : Les Naufragés. avec
les clochards de Paris.
Collection Terre Humaine. Plon 2001.
Sylvie
Quesemand Zucca : Je vous salis ma rue. Clinique
de la désocialisation.
un
ordre d'idées. Stock 2007.
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